DOCUMENTS & PUBLICATIONS

Aucun Juif décent ne saurait nier le Génocide d'Aucun Peuple
Par Israël W. Charny

Aucun Juif décent, aucun Israélien décent, ni aucune personne décente ne peut nier les faits historiques établis du génocide d'un autre peuple. Comme je l'ai dit à la Knesset la semaine dernière, à l'audience de la Commission de l'Education sur l'éventuelle reconnaissance du génocide des Arméniens, que direz-vous et que diriez vous à quelqu'un qui nierait l'Holocauste? Y aurait-il certaines conditions dans lesquelles vous "comprendriez", "admettriez", ou d'une quelconque manière, accepteriez la nécessité et par suite la légitimité de leur négation? Michael Berenbaum, que j'admire depuis des années en tant que brillant expert de l'Holocauste et Juif dévoué, a écrit dans l'édition anglaise d'Haaretz ("Quand le Silence est Sagesse", le 6 janvier 2012) une ode triste et préoccupante pour la reddition par nous même de notre intégrité morale. Nous ne pouvons pas faire ça. En gros, il soutient que c'est un danger pour nous, dans la position où nous sommes, exposés aux attaques internationales de la Turquie. Je suis convaincu que nous ne pouvons pas nous laisser aller à une telle faiblesse qui ferait de nous des 'négationnistes d'holocauste'.

Michael Berenbaum était venu me voir un soir pendant la Guerre du golfe, chez un rabbin qui m'hébergeait à Washington DC, tandis que je me préparais à parler au Symposium Raphael Lemkin sur le génocide à la Faculté de Droit de Yale. A cette époque, nous en étions encore à lutter pour la reconnaissance fondamentale du concept même de génocide par tout le monde. Seule l'importance fondamentale d'une telle conférence, dans une école de droit de premier ordre, avait pu me faire quitter Israël, alors sous les bombes de Saddam, pendant une semaine entière. Michael arriva chez le rabbin plusieurs heures en retard. Il était bouleversé. Il me dit avoir bataillé ferme, au Conseil du futur Musée de l'Holocauste des USA – dont il était alors le directeur de recherche, en fait le numéro deux, et où a fait un travail magistral pour réaliser le musée – pour y inclure le Génocide des Arméniens, mais qu'il avait dû céder devant la résistance obstinée de survivants de l'Holocauste influents sur le Conseil. Il était désolé. Il dit aussi que d'un point de vue personnel cela représentait la fin de tout espoir qu'il avait d'être Directeur un jour. J'ai eu de la peine pour lui, pour ce qui concernait sa carrière, mais je le respectais beaucoup pour sa lutte et pour le succès partiel qu'il a obtenu dans sa démarche pour que soit gravée dans le musée la fameuse citation de Hitler ('Qui se souvient des Arméniens?') alors qu'il préparait ses généraux à avancer et à tuer les Juifs aux débuts de l'horrible Holocauste.

Notre Israël bien aimé a fait une terrible erreur en refusant de payer, face à la Turquie, le prix diplomatique de la vérité du Génocide des Arméniens. Un tel refus de satisfaire aux exigences morales affaiblit notre résistance et notre force de caractère, qui sont également des éléments vitaux de la capacité d'une nation à se défendre elle-même. Le fait qu'Israël se soit adonné à une sale realpolitik pendant tant d'années ne signifie pas que nous ne devrions pas faire ce geste maintenant, parce que pour beaucoup, ce geste ne serait que représailles contre la Turquie pour ses vilaines attaques contre nous plutôt qu'un geste inspiré par la seule morale.

Michael ne rend pas compte correctement de la conférence universitaire que nous avons tenue en 1982 et qui comportait 6 interventions sur le Génocide des Arméniens sur des centaines. J'étais l'initiateur, le directeur et le président de cette 'Première Conférence sur l'Holocauste et le Génocide'. Je suis parti de zéro sans aucune structure au départ pour l'organiser. En fait, que je sache c'est nous qui avons employé les premiers l'expression 'Holocauste et génocide'. Nous avons été attaqué par certains pour avoir combiné l'Holocauste avec d'autres génocides – Gideon Hausner* m'a dit qu'il avait dû se retenir pour ne pas me faire arrêter à la Knesset quand je l'ai rencontré, mais par la suite, il devint un soutien dévoué de la poursuite de notre travail, et nous a autorisé à faire mention de son soutien. D'autres, dans le monde, nous ont attaqué pour nous être concentré sur l'Holocauste et ne pas l'avoir placé parmi tous les autres génocides. Notre gouvernement israélien a fait diverses pressions pour que soit annulée la conférence à la suite de l'insistance du gouvernement turc. Elie Wiesel a accepté mon invitation pour sa présidence, mais comme Juif loyal, il ne pouvait supporter de s'opposer aux directives du Ministre des Affaires Etrangères d'annuler la conférence si le sujet arménien n'en était pas retiré - ce dont Elie Wiesel convint avec nous que nous ne devrions jamais accepter de faire. C'est ainsi qu'Elie Wiesel démissionna non sans nous faire la faveur de le rendre public dans une conférence de presse à Paris – jusque là, je n'osais pas rencontrer la presse parce qu'on nous disait que des vies juives étaient menacées par la Turquie. Au New York Times qui m'avait appelé de Paris, j'ai fait la réponse péremptoire que la conférence continuerait même si je n'avais que 10 participants. Nous avions à ce moment-là 600 préinscrits. La conférence s'est déroulée avec 300 participants. Elle a été notée, comme dans la Yale Review par Terence des Pres, comme un événement marquant et une victoire contre la censure gouvernementale. Céder à la négation d'un génocide quel qu'il soit déshonore la mémoire et le sens de l'Holocauste pour l'avenir. J'ai dit à la Commission de la Knesset la semaine passée qu'un espion du groupe Nili, qui s'est trouvé sur les lieux du Génocide des Arméniens, avait averti le Yishuv** que les prochains seraient les Juifs. En fait, beaucoup ne réalisent pas que les Turcs ont laminé un grand nombre de peuples non-turcs, et ont tué avec les victimes arméniennes d'autres millions d'Assyriens, de Yézidis, et de Grecs – et ont en fait commencé d'expulser nos gens de Jaffa-Tel Aviv, une histoire pas assez racontée et dont on ne se souvient pas assez. Le président de la Knesset Reuven Rivlin ne faisait certainement pas de la politique politicienne lorsqu'il a parlé avec passion de notre obligation morale de reconnaître le Génocide des Arméniens. Le distingué professeur Yehuda Bauer a dit littéralement au ministère des Affaires Etrangères qu'ils feraient mieux de "la fermer" parce qu'ils étaient en train d'insulter l'histoire juive. Haaretz a publié Berenbaum dans l'édition de vendredi et je l'ai vainement cherché dans l'édition en hébreu. Mais dans l'édition en hébreu est publié un article du philosophe français Bernard -Henri Levy dans lequel il parle de la proposition de loi de l'Assemblée Nationale française tendant à condamner les négationnistes à de lourdes peines "La loi pénalisant les négationnistes n'est en aucune façon une tentative de légiférer sur l'histoire par-dessus la tête des historiens. Parce que l'histoire du Génocide des Arméniens a été incontestablement documentée et enregistrée – comme le sont les histoires des Juifs et des Rwandais et des Cambodgiens. Veillons à ce que les sénateurs [la loi passe à présent de l'Assemblée au Sénat,,] ne se sentent pas sous la menace des 'historiens'". Cet article en hébreu n'a pas non plus été traduit dans l'édition en anglais de Haaretz. Heureusement, je lis les deux et je suis plutôt de l'avis de celle en hébreu.

Le professeur Israël Charny est directeur exécutif de l'Institut de l'Holocauste et du Génocide de Jérusalem , et éditeur du Magazine en ligne GPN Genocide Prevention Now [Prévention du Génocide Maintenant]. Il a été en juin dernier à Erevan, lauréat du Prix du Président de l'Arménie pour ses travaux depuis longtemps sur la négation de plusieurs génocides parmi lesquels le Génocide des Arméniens.

*Gideon Hausner 1915-1990, procureur général au cours du procès Eichmann

**Yishuv : organisation regroupant les Juifs de Palestine d'avant la création de l'état d'Is
raël.

Commentaire de Gilber Beguian :
Il y a dans cette réaction d'Israël Charny beaucoup de choses inédites : l'espion juif du groupe Nili, témoin des massacres des Arméniens, qui avertit "les prochains seront les Juifs". Il ne pouvait pas imaginer la Shoah, bien sûr, mais de fait, malheureusement, ses craintes étaient prophétiques…Et Yehuda Bauer selon qui, en donnant des arguments contre la reconnaissance du Génocide des Arméniens, le ministère des affaires étrangères du gouvernement d'Israël insulte la mémoire …juive ! Pas celle des victimes du Génocide des Arméniens, pas la dignité des survivants, ou des descendants du Génocide des Arméniens; non, la mémoire des Juifs...

On imagine la détresse d'Israêl Charny quand Elie Wiesel lui a annoncé, après l'avoir accepté, qu'il renonçait à la présidence de la première conférence à Tel Aviv...

Enfin, on notera comme lui, dans la version anglaise d'Haaretz, la curieuse façon de passer sous silence l'article citant Bernard Henri Levy, qui figure pourtant dans la version en hébreu.

L'amitié dont leur témoigne le président de l'assemblée nationale d'Israël, Reuven Rivlin, n' a pas échappé aux Arméniens. Et l'état hébreu ne pourra pas résister éternellement aux injonctions de cette personnalité remarquable qu'ils ont en Israël Charny…

source : Armenian News Network / Groong 13 janvier 2012 traduction Gilbert Béguian -
http://www.groong.org/ew/ 


 

Aucun Juif décent ne saurait nier le Génocide d'Aucun Peuple